Amis boomers, réjouissez-vous ! Shein vient au secours de votre mauvaise conscience. L’autre jour, j’ai participé à une conférence dans une université bien connue. C’était à l’occasion de la sortie du magazine que nous avons produit en collaboration avec Les Déviations et que vous avez forcément déjà acheté parce que vous voulez nous soutenir.
Le sujet était « comment la quête de sens réhabilite les métiers manuels »
Après les exposés sont arrivées les questions. Les premières, timides, portaient sur le sujet du jour. Mais, très vite, d’autres sont apparues, plus éloignées de nos échanges, plus directes, plus agressives. En fait, ce n’étaient pas des questions. C’étaient des accusations.
Oh, rien de bien nouveau ni d’original. Quelques jeunes gens venaient reprocher aux moins jeunes que nous étions d’être des « boomers » (des gens nés pendant le baby-boom). Et donc de porter la responsabilité de la menace climatique qui plane au-dessus de nos têtes.
Je passe rapidement sur les éventuels problèmes de vue ou de calcul mental des jeunes indignés du jour. Sur scène, nous étions une trentenaire et trois quadragénaires. Bon, ma quarantaine est relativement finissante, mais j’y tiens quand même. Donc aucun de nous n’était un boomer.
Autre problème auquel s’est heurtée l’argumentation des accusateurs : les intervenants étaient tous des chefs d’entreprise engagés dans des processus de décarbonation de la consommation…
Bref, il ne s’agissait pas à s’embarrasser avec une réalité contrariante, mais bien de mettre tout le monde dans un même sac générationnel.
Et c’est alors que Shein m’est passé par la tête
Nous avons tous, en tant que parents engagés dans des causes éthiques, l’habitude de nous faire trahir par notre progéniture. Je venais d’avoir une discussion avec l’un de mes enfants au sujet de cette marque de fast fashion qui fait un tabac auprès des adolescentes.
L’arrivée de paquets made in China dans ma boîte aux lettres avait quelque peu agacé mon patriotisme de consommation. J’avais alors mis en doute l’alignement de ses habitudes de consommation avec sa volonté de participer aux marches pour le climat. La discussion était encore fraîche. Je n’ai donc pas eu grand mal à me souvenir des chiffres et des arguments. Je les ai donc réchauffés et servis à mes contradicteurs.
Saviez-vous que 60% des Français âgés de 16 à 25 ans se disent inquiets voire très inquiets quant au risque climatique ? Combien d’entre eux consomment chez Shein ? Je ne sais pas.
Est-ce parce que nombre d’entre eux le font que cela disqualifie automatiquement la démarche écologique sincère des autres ? Bien sûr que non. La seule chose que cela démontre, c’est que chaque génération a ses vertueux, ses inconscients, ses hypocrites. Donc, opposer une génération à une autre n’a pas beaucoup de sens.
En quittant cette conférence, j’ai eu une pensée pour certains de mes amis qui font tout ce qu’ils peuvent pour remonter dans l’estime de leurs enfants climato-inquisiteurs. Je les entends encore évoquer leurs pèlerinages au pays de la fresque du climat, raconter le temps passé dans des réunions infinies sur les sujets RSE que leurs DRH préférés leur imposent pour faire repentance.
À bien y réfléchir, il leur aurait suffi de couper l’argent de poche en cas d’achat d’un article chez Shein pour renverser le rapport de force et de suspicion au sein de leur famille. Le tout aurait amélioré leur bilan carbone, par-dessus le marché.
Plus sérieusement, il est urgent de le faire
Car sur le terrain, la déferlante fast fashion lamine littéralement les entrepreneurs consciencieux qui se sont lancés dans des démarches de production textile circulaires et responsables.
La situation est tellement dramatique que nos industriels textiles nationaux en sont à appeler les distributeurs à l’aide. Pas pour éduquer leurs clients. Il semblerait qu’en la matière, ils aient jeté l’éponge, les pauvres.
Non, ils les appellent, via une tribune publiée hier dans le monde, à les aider à investir dans un outillage leur permettant de contrer Shein sur son terrain. C’est-à-dire qu’ils se préparent à produire plus de vêtements à plus bas prix pour regagner le marché de nos adolescents moralisateurs.
Consommer moins mais mieux disions-nous ?