La lecture de la presse économique d’hier a renforcé une impression déjà bien installée en moi. De lecture en encontre, de discussions en analyses, cette impression se mue en une conviction profonde.
Elle tend à considérer que les problèmes de recrutement qui existent dans l’industrie ne s’expliquent pas complètement par les explications habituelles :
- La qualité des conseils en orientation,
- Une rémunération qu’on jugerait insuffisante,
- Des conditions de travail qui seraient encore problématiques.
Pourquoi ? Essentiellement pour des raisons de communication, d’image et de ressenti.
Cela vous étonne ? Laissez-moi vous expliquer, au travers de l’analyse de deux articles, pourquoi les arguments généralement utilisés par les employeurs du secteur portent, en réalité, si peu. Malgré leur caractère objectif, concret, théoriquement inébranlable.
Le premier article nous vient de l’Usine Nouvelle. Il nous apprend que nos si brillants ingénieurs semblent revenir dans l’industrie. Ils avaient pris l’habitude pendant ces dernières décennies de désindustrialisation, de préférer les carrières dans la finance ou dans la technologie. Ils retrouvent aujourd’hui le chemin des usines. Et ce pour leur plus grand bonheur.
Pourtant, les salaires qui leur y sont proposés restent inférieurs à ce qu’ils pourraient gagner dans la tech ou la finance. Ce qui semble indiquer que, pour beaucoup d’entre eux, il n’y a pas que l’argent dans la vie.
Le paradoxe de la formation des techniciens de l’industrie.
Le second article est signé par Olivier Lluansi, qui co-dirige le Think-Tank FFI. Son article, paru hier dans les Echos, souligne le paradoxe de la formation des techniciens de l’industrie. Alors que tous les employeurs industriels crient à la pénurie de main-d’œuvre, Olivier constate que le nombre d’élèves diplômés dans les secteurs recherchés par les industriels est théoriquement suffisamment nombreux pour pourvoir les besoins.
Théoriquement. Car en pratique, 50% d’entre eux choisissent, une fois leur formation effectuée, de travailler dans un secteur n’ayant rien à voir avec ce qu’ils ont appris à l’école. Ils choisissent de ne pas choisir l’industrie.
Pourtant, les salaires qui leur y sont proposés sont, en moyenne, bien meilleurs que ce qu’ils trouvent ailleurs. Ce qui tendrait à démontrer que, pour beaucoup d’entre eux… il n’y a pas que l’argent dans la vie !
Comment des salaires moins importants qu’ailleurs pourraient attirer des ingénieurs dans un secteur, alors que des salaires plus importants qu’ailleurs laisseraient de marbre des profils de techniciens ou d’ouvriers dans ce même secteur ? D’où viendrait un tel paradoxe ?
Probablement du fait que nous ne regardons pas au bon endroit.
Notre vision très classique des phénomènes sociaux nous conduit à n’appuyer nos analyses que sur des éléments concrets et à adopter un angle de vue façonné par une approche de classes. En réalité, cette vision, qui n’est pas toujours fausse, est généralement partielle.
Elle occulte très largement des éléments plus subjectifs dont l’influence peut être puissante. Le sentiment de fierté qui accompagne le statut d’un métier qu’on occupe en fait partie. Notre think tank va travailler sur l’évaluation de son impact réel. Car j’avoue n’avoir aucun élément mesuré à vous présenter aujourd’hui.
Mais quand on y réfléchit :
- Un ingénieur est socialement valorisé quand il invente, quand il met au point, quand il optimise. De plus, la satisfaction qu’il ressent quand il parvient à un résultat concret doit être palpable. D’autant que les ingénieurs font souvent partie de ces professionnels qui demandent à leur métier autre chose qu’un salaire. Il aime savoir que ce qu’il fait a un sens, une utilité.
- Un ouvrier n’est pas du tout dans le même cas. Il ne bénéficie pas encore d’un statut socialement valorisant. Des années de communication d’un système nous présentant ces métiers comme réservés aux damnés de la terre ont largement écorné l’image des métiers manuels. En cela, les regards portés par notre système éducatif, par la presse, ou par les discours victimaires de certains leaders d’opinion continuent à faire d’importants dégâts.
Redonner fierté et confiance aux jeunes
Voilà pourquoi nous pensons, aux Forces Françaises de l’Industrie, que tenter de remédier aux pénuries de main-d’œuvre uniquement par des hausses de salaires (même si elles sont utiles), l’ouverture de places dans des centres de formation, ou l’amélioration de la qualité des conseils d’orientation risque d’être décevante.
La véritable urgence nous paraît être de changer le récit qui raconte l’industrie. En lui donnant une image moderne, innovante, éthique et inclusive. En la présentant non plus comme un problème mais comme la plus grande pourvoyeuse de solutions face aux défis de notre temps.
C’est le sens de nos efforts de publications de ces dernières années. Et c’est pour cela que nous travaillons à l’élaboration d’un cycle de conférences qui nous amènera à parcourir les lycées professionnels dès l’automne prochain.
Il célébrera la noblesse des métiers de production et tentera de redonner fierté et confiance à des jeunes qui les ont parfois perdues malgré les incontestables perspectives que s’apprêtent à leur offrir les carrières industrielles.
Nous leur dirons notre certitude que, d’ici peu, leur talent, leur adresse et leur habileté manuelle seront enviés de tous. Nous leur dirons de relever la tête et de porter fier.