Qui êtes-vous ?
Laurent SABATUCCI, président fondateur de la société EOL.
EOL est une société immobilière spécialisée en industrie et en logistique. Nous accompagnons les industriels et les distributeurs pour trouver de nouveaux locaux existants ou à construire. Dans le cadre des opérations de construction, nous identifions les terrains industriels ou des friches et pilotons le process de construction. A ce jour, nous avons conclu près de 5 millions de m2 en France.
Nous intervenons au travers de nos 10 bureaux en France et dans une dizaine de pays en Europe.
Est-ce que l’analyse que nous faisons des tensions sur le foncier industriel et les solutions que nous proposons vous semblent adaptées ?
Vous orientez votre analyse sur le prix. Comme un indicateur certes, comme un critère discriminant moins. En effet, il y a un effet de rattrapage, le foncier était moins cher en France que dans les pays voisins, il se réaligne. Mais ce n’est pas le frein principal.
Le frein principal est la disponibilité tout simplement.
Par exemple 5ha industriel à 30-80 € / m2 on n’en trouve pas ou très peu dans de très nombreux territoires. Quelques-uns dans des territoires comme Le Mans, Tours, Angers… mais plus aucun à Bordeaux, Toulouse ou Lyon.
Même si le prix du foncier doublait et montait à 100€/m2 pour un projet de 50 M€, sur 5ha, le surcoût serait de 2,5M€, c’est significatif mais pas aussi discriminant que cela.
L’autre vrai frein, c’est aussi d’être dans l’impossibilité d’avoir un planning clair.
Lors d’une opération sur une friche industrielle, on met plus de deux ans pour avoir les autorisations à cause d’un nouveau PPRI (plan de prévention des risques d’inondations) de nouvelles espèces protégées qui sont venues s’implanter sur la friche, pas de reconstruction à l’identique, etc. A la fin de processus on nous annonce qu’il faut en plus un diagnostic d’archéologie préventive : un an de plus… et à l’issue de ce processus vous avez 4 mois de recours
Désormais les directions de groupe avec lesquelles nous travaillons, ne veulent plus étudier que des terrains disponibles au niveau permis de construire. Car ils savent que rentrer dans un processus d’autorisation, c’est perdre totalement la maîtrise des plannings. En industrie, c’est rédhibitoire.
Le foncier en France, il n’y en a presque plus et avec le ZAN il n’y en aura plus.
La demande de foncier pour « activités » reste soutenue, pas l’offre. Certes l’application pleine du ZAN est pour 2050, mais dès 2030 l’objectif est de moins 50%… et donc la ZAN est traduite dès à présent dans tous les documents des collectivités locales dès aujourd’hui.
Déjà sur une agglomération de plus de 50 communes au nord de Paris avec la ZAN il n’y aura pas plus de 20ha par an sur les prochaines années. L’agglomération va faire des écoles, des logements… pas de l’industrie.
Dans de nombreuses villes moyennes, par exemple comme Amiens, il n’y a pas de terrain libre de 5ha disponible. Les deux zones prévues sont bloquées. Aucune solution d’implantation foncière …
Cette situation concerne presque tous les bassins de 200.000 hab. Or c’est la bonne taille pour l’attractivité, pour accueillir des familles, des emplois spécialisés.
Est-ce que les investisseurs veulent aller dans des villes de moins de 50 000 habitants pour créer 300 emplois. Pour 50 emplois oui, mais à défaut d’une attractivité suffisante c’est très compliqué d’attirer des investisseurs pour des projets plus importants.
Il y a toutefois des Régions ou des territoires qui s’en sortent mieux que les autres.
En Hauts de France par exemple, c’est l’un des endroits en France où il y a du terrain et où le pouvoir politique est impliqué véritablement dans le développement économique. L’exemple est déjà ancien, mais la plateforme multimodale Dourges Delta 3 est l’un des rares, sinon le seul exemple de plateforme multimodale réussie… en phase avec son marché et sans d’impact environnemental négatif. Ce n’est pas un hasard, si cette région fait 20% de la demande placée (800.000 m2 par an sur un marché 3M m2 [logistique inclus]). A l’exception de la Métropole de Lille où il n’y a qu’un seul terrain disponible…
L’Est de la France, Metz et aussi Nancy ou Strasbourg s’en sortent bien aussi, ils bénéficient d’un effet de report car ils ont du foncier disponible. Le Sud ou le Sud-Ouest avec Nantes sont en revanche très compliqués du point du vue du foncier. Lyon Bordeaux Rennes Nantes, Paris… idem.
Conséquence, on regarde comme premier critère là où il y a terrain, avant tout. On décale nos projets vers des zones plus secondaires en termes d’attractivité.
D’une certaine manière, en creux, vous opposez industrie et logistique ?
Nous savons l’image que ces deux activités ont respectivement. Cependant en termes d’emploi, il y a logistique et logistique. Certaines activités comme la préparation de commande, le conditionnement proposent des densités d’emploi proches de celles de l’industrie et des niveaux de process comparables avec les équipes techniques capables de les gérer.
Le niveau d’emploi en logistique est très variable, il peut être dans certains cas supérieur à ceux de l’industrie. Par ailleurs, les industriels ont besoin d’avoir autour de leurs sites de production des infrastructures logistiques
Il faut sur ces sujets être pragmatique et moins dogmatique
Globalement le sujet c’est la machine à procédure, le manque d’autorité de l’Etat, un préfet qui ne peut plus forcer les décisions… En 30 ans c’est devenu très compliqué.
Justement, quelles seraient vos propres propositions ?
- Stabiliser les solutions d’implantation pour les entreprises, non pas en créant de nouvelles loies ou règles d’exception (industrie verte ..) mais en sanctuarisant les terrains industriels actuels dans les ZAC (Zone d’aménagement concertée)
Les ZAC ont fait l’objet de procédure très longue (souvent une dizaine d’année), intégrant une large consultation du public, des possibilités de recours … et lorsqu’une entreprises veut s’y implanter elle doit à nouveau s’exposer à des recours voire à de nouvelles études d’impactes … c’est unique en Europe et ça ne fonctionne plus. Il faudrait considérer qu’un projet qui s’implante en ZAC et qui est conforme ne peut pas faire l’objet de recours. C’est un point clef de simplification et d’efficacité.
- Concernant la ZAN (Zero Artificalisation des sols Net), je ne crois pas que les objectifs liés à la biodiversité et à la transition énergétique seront atteints grâce à la ZAN.
Nous avons conduit plusieurs études, avec un COS* de 50% en fait il y a nettement plus de faune et flore après une installation logistique ou industrielle qu’avant par exemple sur un terrain cultivé. Car dans la réalité, on ne construit pas sur des terres naturelles ou des forêts, on construit sur des terres agricoles cultivées souvent de manière intensive. La construction sur une partie du terrain garantit sur la partie non construite (de l’ordre de 50%) un retour de la biodiversité avec des zones humides (bassin..). Toutes les études faunes flores le démontrent aisément.
Aussi paradoxale que cela puisse paraître le véritable impact sur la biodiversité, c’est quand on construit sur une friche. Les friches, laissées « en friches », développent naturellement une faune et une flore, bien plus qu’un champ de céréales, une vigne ou un verger.
Par ailleurs, si l’on souhaite implanter des panneaux solaires les immeubles industriels et logistiques sont le meilleur vecteur de ce développement.
Certes il ne faut pas bétonner les espaces non construits mais être pragmatique et concret sur les véritables impacts. L’impact négatif de tout projet industriel, et plus largement immobilier, est le CO2 émis notamment lors de la construction.
On peut faire le choix de stopper la construction et de choisir la décroissance, c’est un choix démocratique qui nécessite sans doute de repenser plus largement nos organisations. Dans tous les cas ce choix n’est pas compatible avec la réindustrialisation.
- Éviter les injonctions contradictoires.
Aujourd’hui construire un immeuble industriel ou logistique sur plusieurs niveaux est presque impossible à cause de la sécurité incendie, des règles d’urbanisme…
Il faudrait inciter à construire des immeubles plus hauts, ce qui suppose un cadre juridique clair qui s’imposerait à tous les intervenants publics et privés. Concernant la biodiversité, il faut être plus pragmatique et concret
On multiplie les compensations, donc les surfaces acquises s’auto-compense et la partie constructible diminue d’autant. Sur un terrain de 11ha on identifie une zone humide de 4 ha on la gèle et on peut plus y toucher. On va donc construire sur 7 ha environ en faisant baisser le COS.
Nous sommes soumis à des injonctions contradictoires. En fait, nos réglementations nous poussent à construire moins sur des terrains de plus en plus grands… à l’inverse du message politique porté.
- De même pour les compensations, il faut ouvrir le jeu.
Il y a deux critères, l’équivalence biodiversité et la proximité. Le seul moyen est de renoncer à la proximité, car bien souvent on ne trouve pas des compensations à proximité des terrains en cours d’aménagement. Il faut des compensations extra-territoriales.
- Le « blanc » le « gris »
Le « blanc » et le « gris » (ie des permis déposés pour des projets théoriques et ajustés ensuite par des procédures de permis modificatifs aux réalités d’un projet) pourraient être une des solutions…
Mais cela se heurte à d’autres difficultés : lorsque le terrain existe, et il est rare, les collectivités le réservent aux projets concrets, immédiats. Il faudrait qu’elles anticipent, mais elles sont prises à la gorge. C’est un cercle vicieux dans lequel nous sommes rentrés. La deuxième raison du manque d’anticipation, c’est le coût. Le portage coûte.