Si vous voulez entendre tonner la voix de Gilles Attaf, parlez-lui des usines françaises comme des lieux de domination, dégoulinants de crasse, de bruit et de déchets toxiques. Elles sont tout le contraire à ses yeux. Foyers d’intégration et d’ascension sociale, leur trop faible nombre aurait fortement limité le nombre des transfuges de classe au cours de ces dernières décennies. C’est ainsi, la France est devenu un pays où il faut 6 générations pour passer des classes les plus pauvres à la classe moyenne. Tandis qu’il en faut 2 en Europe du Nord et 4 en Espagne.
Une deuxième famille
Quand il était enfant, dès qu’il sortait des cours, Gilles rejoignait l’atelier de son père. Les ouvriers qui fabriquaient des pantalons pour d’élégants messieurs et de fiers uniformes, étaient sa deuxième famille. Ils prenaient toujours quelques minutes pour jouer avec lui, partager leur connaissance des matières et leur fierté de maîtriser un savoir-faire de haut niveau. C’était une autre époque.
Suite à la disparition brutale de son père et la faillite de l’atelier familial, la toute jeune carrière de Gilles prit la tournure d’un combat. Ou plutôt, une entrée en résistance face à une désindustrialisation ignorée de tous. Elle était là pourtant, ravageant l’économie de territoires entiers qu’on qualifie aujourd’hui de « France Périphérique ». Curieux surnom pour désigner les zones qui sont autour, mais bel et bien en dehors, des grandes citées qui se sont épanouies, elles, dans la mondialisation.
Entré au service d’autres fabricants français, plus solides, plus installés, il a vu ces belles sociétés industrielles du Nord, ces institutions textiles qui faisaient la fierté de leur région et qu’on croyait insubmersibles, mourir ou s’expatrier les unes après les autres. Ce désastre industriel se déroulait dans l’indifférence d’un pays. Un pays qui avait oublié que l’usine jouait un rôle majeur dans l’ascension sociale des plus humbles.
Revaloriser les métiers techniques
« Nos élites politiques, financières et intellectuelles se sont mises à penser que la France devait devenir un pays de tertiaire. On a demandé à l’éducation nationale de transformer les enfants d’ouvriers en cadres administratifs, parce qu’on trouvait que c’était plus valorisant. Dans le même temps, c’est toute la filière de l’éducation technique, avec le bac pro, qu’on a dévalorisée. Pendant trente ans, il fallait être en échec scolaire pour y être orienté. Les gamins y allaient à reculons. Ils avaient perdu toute fierté alors que les métiers de production sont merveilleux. Ils ouvrent des carrières qui peuvent être formidables. »
Investir dans l’économie réelle
Aujourd’hui, après bientôt 40 ans de métier et de lutte, l’entrepreneur de Belleville a le moral. Devenu président de la certification Origine France Garantie, qui assure au consommateur qu’un produit ou un service est bien fabriqué en France (attention au french washing !), il constate que le vent a tourné : « Le cercle vicieux qui faisait fermer les usines s’est inversé. L’écologie et l’inclusion sont venues au secours du fabriqué local. L’économie circulaire a besoin de la capacité d’innovation de l’industrie pour s’imposer. Cela redonne de la force à notre discours. De plus, avec la complexification de l’organisation des entreprises, les cadres administratifs ne voient plus de sens dans ce qu’ils font. Progressivement, ils ont besoin de revenir à des métiers concret, techniques, productifs. »
Il y a cinq ans, Gilles et quelques-uns de ses amis, ont mis toute leur énergie dans la construction d’un écosystème visant à accélérer la reconstitution des filières industrielles françaises : les Forces Françaises de l’Industrie . Depuis, il partage ses journées entre des actions militantes et d’influence pour faire progresser sa cause et des actions concrètes pour guider des entrepreneurs et convaincre les organismes financiers d’allouer une plus grande partie de leurs fonds aux PME, aux régions et à l’économie réelle.
Casser les inégalités
« Nous avons à peu près tout à reconstruire. Avoir sacrifié nos usines pour aller chercher des prix quelques euros moins chers à l’autre bout du monde a été catastrophique. Et je ne parle pas ici que d’écologie. L’usine ça n’est pas qu’un lieu de production. C’est une société humaine où les anciens transmettent aux jeunes. Où ceux qui n’ont pas eu la chance ou la patience de faire de longues études peuvent apprendre un métier et envisager une carrière.
J’ai des amis qui une fois sur trois embauchaient des ouvriers qui ne parlaient pas français. Aujourd’hui ils se sont installés, ont appris notre langue, notre culture, se sont mariés, ont eu de l’avancement. On dit souvent que l’école peut fabriquer des Français, mais l’usine aussi. Et ce dans toutes nos régions. L’industrie génère des emplois à valeur ajoutée et des employés bien payés dans tous les territoires. Elle est un excellent moyen pour casser l’inégalité salariale qui existe entre les métropoles et les territoires ruraux. »
« FFI Croissance »
Quand je l’ai rencontré, Gilles n’avait pas d’atomes crochus avec la finance. « Les financiers ne comprennent pas l’industrie. Ils veulent du court terme, or, l’industrie, c’est du capitalisme patient. »
Depuis, il a rencontré les fondateurs du Groupe Crystal, leader de la gestion de fortune et du conseil en patrimoine. Ces entrepreneurs de la finance sont aussi patriotes que lui. Alors, quand Gilles et ses associés leur ont parlé de leur projet de fonds d’investissement dédié aux PME Made in France, ils ont dit oui tout de suite.
Ce fonds donne une nouvelle puissance à l’écosystème que Gilles fédère aujourd’hui.
« On va enfin pouvoir flécher une partie de l’épargne des Français vers l’économie réelle et les PME qui fabriquent dans nos territoires. »
Si vous voulez faire bisquer Gilles, la prochaine fois que vous le croisez, n’oubliez pas de lui poser cette question : « Alors, il paraît que tu es devenu financier ? ». Il est probable qu’il vous réponde : « Arrête un peu de te foutre de moi, s’il te plaît. »
En attendant, hier soir, le 30 septembre 2024, Gilles a été décoré de la médaille d’officier de l’ordre du mérite par Roland Lescure, ex-ministre de l’Industrie. Une décoration tellement méritée que nous étions 150 amis, famille et militants de la réindustrialisation venus l’applaudir.
C’était à l’Hôtel de l’Industrie. Quel lieu aurait mieux convenu à celui que certains de ses amis appellent l’Obélix du Made in France. Pas pour sa silhouette, hein. Mais parce que, pour défendre le produire en France, Gilles n’a pas besoin de potion magique. Il est tombé dans la marmite quand il était petit.