Olivier Remoissonnet est le premier et dernier fabriquant 100% français dans le domaine de la brosse à dents. Il en produit chaque année 8 millions d’unités dans son usine de 4 000 m2 installée à Beauvais dans l’Oise. Avec un associé – Olivier Voisin- il a repris il y a tout juste dix ans, La Brosserie Française qui était menacée de disparition. Olivier Remoissonnet est l’invité d’honneur du prochain dîner des FFI, ce jeudi 16 juin à Paris qui se déroulera au restaurant le Sarté – privatisé pour l’occasion. 15, rue Del Sarté. 75018 Paris.- Nous lui avons posé quelques questions avant son intervention. Il nous parlera de ses convictions fortes et inébranlables autour du Made in France et de l’éco-citoyenneté.
– FFI : Pouvez-vous présenter en quelques mots :
- Olivier Remoissonnet : Je suis ingénieur du Cnam. J’ai fait toute ma carrière dans l’industrie. C’est une passion qui est chevillée au corps depuis le départ. Je m’éclatais déjà lors de mes premiers stages d’étudiant à monter des durites de frein sur une chaîne d’assemblage de Peugeot. Ce qui m’a toujours attiré dans ce milieu, ce sont les personnes, les machines, les ateliers, les odeurs et les ambiances. J’ai travaillé pendant huit ans dans l’industrie automobile avant de rejoindre l’industrie de la brosserie en 1998 au sein de la Brosserie Française, donc. Cette société a une histoire : c’est la plus ancienne en France. Elle a été créée en 1845. Elle fait du 100 % Made in France. C’est la seule, du reste ! La structure menaçait de disparaître, je l’ai reprise et relancée avec un associé en 2012.
« Je voulais démontrer que l’on pouvait faire de l’industrie différemment avec de la valeur morale »
- FFI : Qu’est ce qui vous a poussé à la reprendre ?
- O.R : Je suis très attaché à notre produit phare, la brosse à dents Bioseptyl qui est en perpétuel renouvellement et qui peut paraître basic de prime abord. Une brosse à dents se réinvente tout le temps. Il y a des usages, des modes, des collections, des fonctionnalités différentes. Tout évolue, de la technologie au design. C’est un objet que tout le monde a entre les mains au moins une fois par jour. C’est le produit type qui permet de faire des prises de conscience. J’étais directeur industriel lorsque le site s’est retrouvé en difficulté financière en 2011. Il est à Beauvais où nous sommes toujours. Il appartenait à un groupe alsacien, l’économie n’était plus viable économiquement, on s’orientait lentement mais sûrement vers une liquidation. Et là je me suis dit : « c’est la dernière usine qui fabrique des brosses à dents en France. Ca reste un produit emblématique. Je voulais démontrer que l’on pouvait faire de l’industrie différemment avec de la valeur morale, éthique, du made in France, de l’éco-citoyenneté. J’avais entre les mains la brosse à dents qui pouvait me permettre de rentrer dans les foyers et de faire passer ces messages-là. Avec mon associé, Olivier Voisin, on ne se connaissait pas trois mois avant de reprendre l’entreprise ensemble, et il y a eu un véritable alignement de planètes. Lors d’un déjeuner, on a constaté que l’on avait les mêmes envies, les mêmes valeurs. On a repris l’entreprise en décembre 2012. En 2013, on a quitté la Chine pour ne produire qu’en France.
- FFI : dix ans plus tard, l’entreprise est sauvée et vous produisez 8 millions de brosses à dents par an !
- OR : Oui ! C’est une belle aventure. L’industrie peut être une belle histoire encore de nos jours ! Remonter une boite c’est une chose, créer un lien avec une communauté de consommateurs, les faire adhérer à notre concept – on ne parlait pas à l’époque du made in France – cela en est une autre. Nous avons monté dès le départ un site de vente en ligne qui nous a permis de rentrer chez les consommateurs et de leur faire découvrir nos produits. En parallèle, nous sommes aussi distribués dans des enseignes bio. Nous avons su recréer un modèle économique. Aujourd’hui encore, nous restons atypiques.
« On a le bilan carbone le plus faible du marché et on a la conscience éco-citoyenne la plus assumée »
- FFI : quel est le secret de fabrication ?
- OR : On fabrique 8 millions de brosses à dents par an, comme personne n’est capable de les faire. Toutes nos brosses à dents sont à base de plastique recyclé, de bio plastique ou de bois issus de forêts éco-gérés en France. On ne travaille que des déchets d’autres industries ou des produits écartés de filières industrielles françaises. On a le bilan carbone le plus faible du marché et on a la conscience éco-citoyenne la plus assumée, la plus transparente. Nous sommes leaders sur la vente en ligne avec un site qui livre 50 000 foyers en France, ce qui représente 120 000 consommateurs qui sont fidèles sur le digital à notre marque. On est leader dans les magasins bio – sur les 2 500 points de vente de ce secteur en France, nous sommes présents dans 2 200 enseignes. Le chiffre d’affaires avoisine les 6 millions d’euros. J’ai la capacité et le potentiel de monter ma production à 30 millions de brosses à dents/an.
- FFI : Vous produisez tout à Beauvais ?
- OR : Oui. Nous sommes 32 collaborateurs à ce jour – on a démarré à 24-. On exploite un site qui fait 4 000 m2 . C’est le site historique, l’usine dans laquelle nous sommes est la première à avoir fabriqué des brosses à dents en 1845 sur le territoire. 177 ans plus tard, nous sommes toujours là, le dernier fabricant 100% français, et, ironie du sort, le premier !
« Nous sommes concurrentiels sur toutes nos gammes »
- FFI : Combien de modèles proposez-vous ?
- OM : Nous en avons beaucoup, mais nous produisons principalement trois gammes :1/ Recyclette, une gamme de plastiques recyclés destinée aux enfants, juniors, adultes et à tous les domaines d’expertises pour la parodontie, l’interdentaire, l’orthodontie etc. Elle se positionne sur les prix de marché les plus compétitifs. En France une brosse à dents à technicité équivalente à la nôtre se positionne entre 3,50 euros et 4,50 euros. Notre gamme est à moins de 4 euros. Sur les prix de marché par rapport au « made in ailleurs », on se positionne très bien. Et on est parfois moins chers que des produits concurrents asiatiques. 2/ On a la gamme intermédiaire qui est la brosse à dents en bois. Nous sommes entre 5,20-5,40 euros l’unité, sur des produits équivalents qui sont eux, sur le marché entre 5 et 6 euros. Là aussi, nous sommes bien positionnés. 3/ Enfin, nous avons la gamme premium Edith. Le consommateur garde le manche, et il ne remplace la tête que lorsqu’elle est usagée. Le prix de base est à 9,90 euros. Il faut compter moins de trois euros quand on veut la remplacer. Ce sont les prix publics.
- FFI : Faites vous du dentifrice ?
- OR : nous proposons du dentifrice, mais nous ne le produisons pas. C’est notre formulation, notre recette et c’est notre certification OGF et Eco-Cert. Nous le faisons fabriquer chez un partenaire en France, bien sûr. Notre gamme est composée de brosses à dents, c’est notre cœur de métier, mais on a aussi des compléments de gamme avec du dentifrice solide, patte, du spray, du bain de bouche.
Faire des brosses à dents génératrices d’économie circulaire, respectueuses de l’environnement
- FFI : La brosse à dents est-elle un produit qui a évolué ?
- OR : La brosse à dents, depuis trente ans, est l’archétype de l’hyper marketing. Il faut qu’il y ait toujours des poils en plus, davantage de fluos, des formes de plus en plus tordues. C’est contre-productif avec un bon brossage de dents. On revendique le retour à la fonctionnalité de base : faire des brosses à dents génératrices d’économie circulaire, respectueuses de l’environnement. On ne peut pas nous retirer nos 177 années de savoir-faire. Concevoir une brosse à dents pour qu’elle soit efficace fait partie de notre ADN. Nous sourçons l’ensemble de nos composants de manière éco-citoyennes. On fabrique et transforme nos produits dans une usine à Beauvais qui est alimentée 100% en énergie verte qui est issue de parcs hydroliens et éoliens gérés en France. Tout notre éclairage se fait avec des leads. On recycle la chaleur de nos moteurs pour chauffer pendant l’hiver et nos cartons avec nos fournisseurs de manière à les utiliser plusieurs fois. On fait en sorte de tout mettre en œuvre pour que notre bilan carbone soit le plus faible possible. Et c’est le cas ! Nous communiquons auprès de nos réseaux de distribution pour partager ces valeurs.
Les FFI ? Une rencontre au départ avec Gilles Attaf
- FFI : vous intervenez le 16 juin au dîner des FF1. En êtes vous membre ?
- OR : Non, je ne le suis pas. J’ai ma PME, et je ne peux pas être sur tous les fronts. Les FFI, c’est avant tout une rencontre avec Gilles Attaf. On se connait depuis plusieurs années. Si je ne suis pas membre des FFI, ce dîner est l’occasion de pouvoir exprimer mes valeurs fortes sur le Made in France ». De montrer que sur les produits dits de « grande consommation », l’atelier du monde n’est pas une fatalité. Nous allons apporter notre expérience. Dans les FFI, il y a le mot industrie et j’attache un regard particulier à l’industrie qui se transforme. En 2012, en reprenant la Brosserie Française, l’une de nos toutes premières actions a été de mettre à nu l’outil de production. Nous avons mis toutes les machines sur le parking, vidé l’atelier complètement. Nous avons donné la parole et fait confiance aux gens du métier, aux opérateurs et aux techniciens. Avec eux, nous avons redessiné l’usine pour y mettre les machines, les palettes aux bons endroits, la rendre la plus fonctionnelle possible. C’est avant tout leur savoir-faire qui s’est exprimé. La verticalité entre une marque et son outil de production est un lien indissociable. Quand une marque est forte elle l’est d’autant plus que lorsqu’elle maîtrise son outil de production. Il faut s’engager durablement avec les équipes, transmettre les savoirs Depuis dix ans, c’est ce trait d‘union qui est notre priorité. Et il a porté ses fruits ! Il a failli ne plus avoir de brosses à dents fabriquées en France. Ce serait impossible aujourd’hui ou extrêmement compliqué de réindustrialiser dans ce domaine car c’est un métier qui est capitalistiquement chronophage.
Une des clés de notre succès, la transmission
- FFI : quels sont les principaux messages que vous allez faire passer lors de ce dîner ?
- OR : Mon message qui va être axé sur le lien indéfectible entre la marque et son outil de production. Nos usines ont besoin d’investissements, de visibilité à long terme, et le lien avec la marque est forcément un lien fort . C’est lui qui doit définir nos stratégies à long terme sans que ce ne soient purement des positionnements marketing qui peuvent se retourner d’une saison sur l’autre à tout moment. Le savoir-faire qui est dans l’atelier se transmet de personne en personne, c’est la clé du succès.
– FFI : Comment avez-vous financé la reprise de la Brosserie Française. Avez vous pris des risques personnels ?
– OR : nous n’avons pris aucun risque personnel. Se faire aider n’était pas dans notre démarche. Avec mon associé, nous nous sommes bien trouvés. Il avait une entreprise en bonne forme et il cherchait à se diversifier. Nous avons les mêmes valeurs. Nous n’avons pas été chercher des fonds pour investir. J’apporte la vision qu’il est possible de faire des brosses à dents en France. Lui apporte la confiance bancaire. C’est lui qui a assuré le financement du BFR au début. On a démarré ensemble sur cette base.
L’export ne représente que 6% de notre activité
– FFI : Vous êtes « 100% made in France » Quid de l’export dans votre développement ?
– OR : On est à moins de 6% de notre activité à l’export et c’est surtout de l’export limitrophe. Les plus gros pays sont la Belgique, l’Angleterre, la Suisse. Mais nous sommes aussi présents en Indonésie. On a été par facilité dans les pays sur lesquels il y avait une demande. Si l’on veut déployer une stratégie à l’export, nous devons encore gagner en notoriété sur le territoire pour avoir une légitimité plus forte. On y va pour l’instant par compatibilité de bonnes énergies mais pas plus. On travaille cette notoriété depuis cinq ans. On a renforcé l’équipe communication et digitale. Il y a dix ans, j’étais un peu seul sur ces sujets-là avec un prisme industriel. 4 personnes y travaillent aujourd’hui.
- FFI : votre succès a-t-il attisé les ambitions de la concurrence ?
- OR : Elle arrive tout doucement et elle me semble intéressante. Il y a ceux qui se lancent et qui essaient de construire quelque chose réellement basé, comme nous sur du « Made in France » et dans ce cas, je dis : « bravo ». On aura essayé de tenir le temps que l’on pouvait pour que du monde puisse arriver sur le marché et se rendre compte qu’avec nos 4% de marché on est loin de l’avoir inondé. Il y a encore de la place pour du monde. Face à nous, on a aujourd’hui 11 marques alternatives dont 6 revendiquent le « Made in France ». Je me pose des questions : si les brosses sortaient de mon usine, cela se saurait puisque nous sommes les derniers à en faire ! On voit plutôt du Made in France qui repose davantage sur du « Désigné en France », avec des composants achetés à l’étranger et packager en France. C’est ce que nous avons essentiellement face à nous malheureusement et c’est un trompe l’œil ! Les consommateurs se font souvent berner sur ce sujet là, c’est la raison pour laquelle on défend notre position de Origine France Garantie.
Le capillaire, et les animaux….
- FFI : êtes vous tenté par une diversification ?
- O.R : On le fait déjà ! Au départ, nous sommes une Brosserie Française. Nous faisons des brosses à dents, proposons du dentifrice. Mais nous avons aussi depuis trois ans deux gammes de brosses à cheveux. Une marque qui s’appelle Gracia installée dans l’univers du luxe avec des matériaux nobles, des bois rares. Puis une gamme grand public qui s’appelle 1845 qui fait écho à la date de création de l’entreprise. Nous sommes présents avec cette gamme dans 850 environ magasins en France, essentiellement dans des pharmacies et dans le réseau bio. Cette marque s’installe comme une référence. Nous fabriquons pour cette marque des peignes, des brosses à cheveux, des brosses pour la barbe, pour les bébés. En septembre dernier, on a lancé une gamme de brosses pour animaux. On est avant tout une brosserie au départ. Notre objectif était de sauver en 2012 cette dernière fabrique Made in France. Nous pouvons déployer d’autres activités dans ce secteur. Notre équipe est très polyvalente et nous avons un parc machines qui est en capacité de le faire. A chaque fois que l’on gagne des parts de marché nous avons des opérateurs qui connaissent parfaitement les machines. Nous avons encore de belles années devant nous ! »
- FFI : à jeudi, donc Olivier pour poursuivre l’échange au Sarté.
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Ps : Investisseurs, n’oubliez pas la session de Pitchs qui aura lieu juste avant à La Maison Muller, 6, rue Muller. 75018 Paris.