Parce qu’il est toujours tentant d’ancrer ses postures politiques du moment dans le souvenir d’un Grand Homme, ces dernières années, de nombreux partis se sont réclamés du gaullisme.
Le fait que le principal intéressé ne soit plus là pour les contredire, doublé d’une inculture historique générale qui fait que plus grand monde ne sait encore ce qu’il pensait et pourquoi, a permis à nombre de personnalités de légitimer leurs impostures en les cachetant du sceau respectable de la Grande Histoire, de la tradition.
Et c’est ainsi qu’on a entendu des gens qui venaient de s’incliner sur une tombe à Colombey-les-Deux-Églises réclamer des élections législatives au scrutin proportionnel. Et que d’autres, craignant de voir gagner leur adversaire, en ont appelé à un Front Républicain qui a eu le même effet : c’est-à-dire de priver l’Assemblée nationale de majorité.
Le Général aimait son peuple et admirait la France. Il n’était pourtant pas dupe de nos principaux défauts. Pour lui, les Français savaient s’unir derrière de grandes causes. Ils savaient collaborer pour étonner le monde aux moments les plus critiques. Mais le reste du temps, notre individualisme jaloux et notre esprit querelleur pouvaient nous faire perdre de vue l’intérêt national. Il nous trouvait inaptes au consensus, à cet art du compromis qu’impose le bon fonctionnement d’une démocratie parlementaire et son régime de partis. Nous ne ressemblons pas, sur ce point, aux pays du nord de l’Europe.
C’est donc pour éviter de retomber dans les désordres des 3ᵉ et 4ᵉ République qu’il a forgé la Constitution de la 5ᵉ République. Un régime ultra-présidentiel qui demande aux Français d’élire une sorte de roi doté d’à peu près tous les pouvoirs pendant 7 ans. Une durée suffisamment courte pour qu’on ne décide pas de lui couper la tête si nous n’en voulons plus et suffisamment longue pour qu’un gouvernement puisse planifier une politique sur le moyen terme et engager des réformes sans risquer d’être renversé au moindre caprice d’un peuple qu’il savait turbulent.
C’est sous cette République et grâce à la gouvernance quasi monarchique dessinée par de Gaulle que la France a recouvré sa puissance agricole, mis fin à sa politique de colonisation et reconstruit son industrie. Cette dernière nous a permis de nous doter d’un joyau produisant notre électricité nucléaire, de fleurons économiques mondiaux tout en finançant largement nos solidarités. Elle avait besoin de temps et de stabilité politique pour s’épanouir. De Gaulle et son régime les lui ont donnés. Ses successeurs directs ont prolongé son œuvre.
Mais voilà, les mauvais perdants aux élections n’ont jamais aimé la 5ᵉ. Mitterrand criait au « Coup d’État permanent » jusqu’à ce qu’il arrive au pouvoir et n’en change aucune règle. Plus récemment, le RN émet régulièrement des demandes récurrentes pour un scrutin proportionnel, alors que LFI rêve d’une 6ᵉ République. Il est vrai qu’il ne fait pas bon terminer second sous un tel régime.
Le souvenir des 3ᵉ et 4ᵉ République s’éloignant, nos gouvernants ont décidé « d’assouplir » une République qui confiait, selon eux, trop de pouvoir à un seul d’entre nous. L’image du leadership charismatique s’était ringardisée. L’opinion publique lui préférait celle d’un chef plus doux, plus à l’écoute, plus humain. Quelqu’un qui jouait plus collectif, même quand c’était pour de faux. Il fallait apparaître plus proche du peuple, plus accessible, plus empathique, presque cool, en fait.
Alors, certains élus, pour cultiver cette image et gagner quelques points de popularité auprès d’un peuple toujours plus sensible aux symboles et aux postures qu’à l’efficacité opérationnelle d’un système, ont commencé, par quelques gestes symboliques, à détricoter l’œuvre du général.
Ils ont donc raccourci le mandat du président, ont alourdi la Constitution par quelques principes aussi fumeux que tétanisant (principe de précaution, droits opposables…), ont donné l’indépendance à quelques agences de l’État si bien que les préfets ne parviennent plus à trancher certains débats locaux jusque-là bien gérés… Le tout a progressivement rendu notre pays difficilement gouvernable et encore moins réformable.
Plus récemment, le Front Républicain a fait rentrer par la fenêtre de l’Assemblée nationale les conséquences d’un scrutin proportionnel qui ne parvenaient pas à passer par la porte. Elle ne dispose plus de majorité et est à nouveau gouvernée par le régime des partis. Justement ce que voulait éviter de Gaulle à tout prix.
J’étais hier avec un ami qui me disait qu’il fallait en passer par là pour que nos partis politiques apprennent à gouverner ensemble dans l’intérêt des Français. J’espère qu’il a raison.
Mais j’ai bien peur que la chute du gouvernement Barnier et les semaines de pathétiques palabres qui l’ont précédé démontrent le contraire : les Français et leurs partis ne sont toujours pas mûrs pour un régime parlementaire. La vision du Général a tout l’air de rester, des décennies plus tard, d’une étonnante actualité.
Tout cela ne serait pas bien grave si la France était en bon état. Si ses finances, ses services publics n’étaient pas dégradés. Si son économie et nombre de ses PME n’étaient pas si fragiles. Si on avait plus travaillé, ces derniers temps, à rendre nos usines plus compétitives.
Mais voilà, notre pays a besoin de réformes aussi urgentes que profondes et donc qu’un gouvernement puisse décider et tenir un cap sur le long terme.
Sans un sursaut moral de nos élus, nos industriels, déjà attaqués par leurs concurrents internationaux, devront faire face, seuls, à la révolution Trump et à l’agressivité des entreprises chinoises largement subventionnées.
Amis entrepreneurs, investisseurs, consommateurs, il va falloir sérieusement se serrer les coudes pour parvenir à nous réindustrialiser dans de telles conditions. Alors, faisons corps. Entre-aidons-nous.