Hier, j’ai été écouter Emmanuel Maurel, député européen. C’était lors du petit déjeuner Origine France Garantie. Nous étions donc au milieu d’une assistance acquise à la cause de l’industrie française.
En m’y rendant, je suis passé devant la statue du Général de Gaulle. Elle faisant face, majestueuse, au soleil qui se levait sur Paris. Rétrospectivement, je ne peux m’empêcher de penser à ce que le Grand Homme aurait pensé des échanges qui se sont déroulés ce matin-là.
Car le moins que l’on puisse dire est que les adeptes du patriotisme économique que je m’apprêtais à rejoindre ne sont pas sortis rassurés de cet événement.
Pourtant, l’intervenant du jour fait partie des rares députés européens qui promeuvent le made in France (et aussi le made in Europe un peu). Il a d’ailleurs commencé son discours par cette phrase :
« Chaque année je dépose un amendement au Parlement Européen pour que les fournitures de nos bureaux soient made in France ou made in Europe. Et chaque année, je me fais rembarrer. »
La suite de son propos était à l’avenant
C’était désespérant. Non par sa faute ! Car on sentait chez cet ami d’Arnaud Montebourg un vrai engagement pour notre thématique préférée. Non, c’est le fonctionnement des organes européens qui était en cause. Leur incroyable naïveté face aux pratiques d’anti-jeu des autres puissances mondiales confine, en réalité, à l’absurdité.
Pour ce député la politique industrielle européenne n’existe tout simplement pas. Ou plutôt, comme il y en a plusieurs et qu’elles sont incohérentes, c’est comme s’il n’y en avait pas.
À l’heure où les Américains et les Chinois mettent des centaines de milliards de subventions pour soutenir leur industrie, la commission européenne préfère réglementer. Elle légifère plutôt que chercher à réunir les moyens sonnants et trébuchants de faire face.
Emmanuel Maurel ne s’explique pas vraiment cette incapacité à réagir face à ce type de pratiques déloyales pourtant bien visibles
Il y aurait une idéologie libre-échangiste chez certains (les Hollandais). Une tendance à jouer cavalier seul et à ne respecter que les textes qui les arrangent chez d’autres (les Allemands). Il y aurait enfin ceux qui pensent encore à une division internationale naturelle des tâches. Les produits à valeur ajoutée pour l’Europe. Le reste devant être confié à l’usine du monde : la Chine.
Le Covid a certes joué les perturbateurs dans ce mode de prêt à penser bien huilé. Car il a généré l’incompréhension des peuples. Ces derniers se sont tout à coup réveillé face aux ravages d’une politique industrielle qui les privait de nombreux biens de première nécessité. L’évolution des mentalités est bien réelle. La bataille de l’opinion est en cours.
Mais, constate Emmanuel Maurel, si les opinions ont changé, les actes, eux, ne leur ont pas vraiment emboîté le pas. Il s’est senti bien seul quand il fallait s’indigner devant la sélection de prestataires chinois pour réaliser des infrastructures dans un pays des Balkans. Infrastructures pourtant financées par l’argent européen.
Il n’a pas été suivi quand il a demandé qu’on applique la réciprocité face à des pays qui augmentent unilatéralement leurs taxes à l’importation. Il a eu l’impression de détonner quand il a interrogé la pertinence de poursuivre des discussions sur une dizaine d’accords de libre-échange alors qu’on sait depuis longtemps que ces accords sont entravés par la mauvaise foi de nombre de nos partenaires qui savent utiliser la naïve lourdeur des institutions européennes.
« Les anecdotes évoquées par Emmanuel Maurel m’ont donné la désagréable impression que l’Europe agit bien trop souvent comme une puissance moralisatrice peu soucieuse de la réalité des choses et des conséquences de ses actes. »
Elle est ainsi capable de sacrifier des pans entiers de sa puissance industrielle pour être à la pointe d’une tendance à la mode ou d’une croisade éthique. Il en est ainsi avec l’interdiction des véhicules à moteur thermiques. Interdiction prise, d’après le député, pour montrer que nous sommes les plus vertueux mais sans avoir réalisé d’étude d’impact sérieuse.
À l’entendre, on avait l’impression de revivre en direct la prise des funestes décisions qui ont mis à mal la filière nucléaire française au cours des dernières décennies.
Qu’il paraissait loin le « Buy European Act » que nous demandons tous !
L’exposé franc de cet homme courageux m’a inspiré une réflexion
Sommes-nous les seuls, en France, à avoir oublié les enseignements de Machiavel ou de Richelieu ?
Pourquoi appliquons-nous avec discipline des politiques que nos voisins ont appris à contourner quand cela les arrange ? N’avons-nous pas compris qu’ils prêchent la doxa européenne quand elle sert leurs intérêts et qu’ils l’oublient quand elle s’y oppose ?
Si les Hollandais chérissent le libre-échange, c’est parce qu’ils ont les plus grands ports et les meilleurs systèmes logistiques au monde pour en profiter. Si les Allemands acceptent les règles européennes sur les appels d’offres publics, leurs acheteurs sont formés à en exploiter les failles pour favoriser leurs PME.
Il n’y a pas lieu de s’offusquer de cela
Car on ne peut reprocher à une nation de défendre ses intérêts. Mais il est stupéfiant que nous soyons les seuls à ne pas défendre les nôtres.
Nous pouvons continuer à être les dindons de la farce européenne tout en pointant, d’un air doctoral, l’hypocrisie et le cynisme des autres. Nous pouvons aussi utiliser nous-mêmes ces postures. Elles ont contribué à faire de la France une des nations les plus puissantes au monde. Et en plus, pour le coup, « ce n’est pas nous qui aurons commencé ».