Ingénieur de l’Ecole de Mines d’Alès complété par un Master en management des territoires de l’ESSEC, Olivier Riboud a débuté sa carrière dans l’industrie extractive puis dans l’industrie chimique avant de rejoindre le monde de la formation en intégrant en 2006 le réseau des Campus Veolia comme Directeur Performance et Coordination.
Passionné par l’Apprendre et la pédagogie, il a rejoint le projet L’Industreet, formation gratuite qui propose une pédagogie innovante, afin de faire de l’industrie une chance pour tous. Un internat sur le campus permet d’accueillir les jeunes venus de la France entière. Ce projet entre dans le cadre de l’engagement sociétal de Total et a pour ambition de former un public de jeunes décrocheurs sur des métiers en tension de l’industrie du futur à Stains en Seine-Saint Denis.
L’évaporation, « première source des tensions sur les métiers industriels ». Est-ce que vous partagez ?
C’est la première fois que je lis cela. Cela m’a saisi et fait lever le sourcil… et bien intéressé. On en parle très peu. En revanche on évoque souvent les sujets d’attractivité, de pénibilité, de pénurie de compétences, ou d’orientation qui y sont tous attachés.
C’est un vrai sujet… les jeunes viennent dans des formations par défaut. Dans nos promotions, quelques personnes ont des vocations. Mais globalement on ne dit pas « je veux être technicien en contrôle non destructif ». (rire). En fait la majorité des jeunes qui nous rejoignent n’ont pas de vocation du tout… Les réponses qu’on leur propose à la question fondamentale : « qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grand », sont en fait des réponses par défaut. On leur dit « tu seras bien là où on veut bien de toi »
Ainsi les jeunes formés aux métiers industriels sont souvent là par défaut, ils n’ont pas forcément envie d’être là et ne savent pas ce qu’ils veulent faire. Et réciproquement, ces formations sont très peu valorisées.
La réalité est qu’on a plus d’offre de formations que de candidats. Donc on les remplit ou bien on prend le risque de voir des formations à moitié pleine être fermées, faute de candidats.
Pour éviter cela, chez nous, nous développons une approche différente. Les jeunes ont des niveaux différents. Ils commencent, sauf s’ils savent exactement ce qu’ils veulent faire, par deux mois « d’immersion ». Ils testent différentes formations, pas toutes les formations que nous proposons, mais un sous-ensemble large. Cette immersion a pour objectif qu’ils sachent ce qu’ils veulent, qu’ils fassent un choix positif ou au moins avisé sur une panoplie de formation. Même si nous sommes limités par notre catalogue, notre offre.
Au terme de cette immersion, ils confirment ou changent de formation.
Nous identifions trois causes : les bonnes personnes (orientation), les bons métiers (adéquation emplois-formations), les bons territoires (mobilité)… d’autres ?
D’abord cette grille de lecture est hyper-intéressante.
Sur l’orientation et l’attractivité, le travail cela se sent, c’est des odeurs, des couleurs. J’essaye de poser des questions simples, concrètes : « Est-ce que tu préfères : être sédentaire ou bouger ? » (Eg opérateur ou maintenance) « Est-ce que tu préfères être régulièrement assis ? » (Derrière un écran ou interaction physique avec d’autres personnes) « Est-ce que tu aimes plus trouver une solution ou répéter une procédure ? » Et aussi les exclusions : « D’abord pourquoi tu n’es pas fait ? »
Il faut adapter nos approches à leur méconnaissance des métiers. Une fiche de poste, cela ne parle pas assez.
Bons métiers, les bonnes technos ? Je comprends mais je constate aussi que l’employeur voudrait la personne parfaite efficace dès le deuxième jour. Il faudrait connaître la machine exactement installée sur la ligne. Ce n’est simplement pas possible. Il faut accepter un temps de spécification.
En fait, dans un monde où les machines de production sont de plus en plus spécifiques, nous devrions engager une réflexion collective sur la part attendue de la formation dans l’acquisition des compétences et celle qui reviendrait à l’usine. Je crois que nos formations vont déjà trop sur le spécifique justement pour répondre à ces demandes. Que se passera-t-il le jour où la machine change ? Comment définir les compétences transférables, c’est là-dessus que les formations devraient se concentrer.
La proximité. Cela résonne bien. Je vais prendre un exemple qui est hors du champ de votre étude, mais très parlant : autour de 1980, 100% des élèves de l’Ecole des Mines d’Alès les gens venaient de moins 30 km, alors qu’il s’agissait de formation ingénieur. C’est rassurant, c’est moins cher. Cela donne la possibilité de rentrer. Autre élément, un chiffre issu de travaux de Veolia, même s’ils sont un peu anciens : 40% de leurs clients vivaient à moins de 10km de leur école maternelle. Parmi mes élèves, 40% sont de Satin et ne sont jamais allés à Paris !
Plus le niveau de formation est faible, plus le cercle de vie est local. Dans nos formations les Marseillais, les Dunkerquois, les personnes venant des DOM-TOM se comptent sur les doigts d’une main. Même si tout était pris en charge, le retour vers la famille est une expédition.
Vos recommandations dans ce contexte ?
Avant d’en arriver aux recommandations, je voudrais partager quelques convictions en vrac que vous n’abordez pas.
Il n’y a pas de pédagogie universelle. Il faudrait presque une pédagogie par élève, il y en a 800.000 dans les systèmes, moi j’en ai 400. Alors je prends le parti de les considérer comme de jeunes salariés et je demande à toutes les équipes de les considérer comme de jeunes collègues et as comme des élèves. Cela permet aussi de simuler l’environnement de travail avec une hiérarchie
Nous sommes localisés en banlieue parisienne. Il ne faut pas sous-estimer le rêve d’être influenceur à Dubaï et gagner 100.000 euros par mois. Indéniablement, la valeur travail s’est dénaturée. En fait le mythe de l’influenceur comme celui du footballeur tue la valeur travail. Cela se manifeste par un hiatus grandissant entre les aspirations de jeunes et celles des recruteurs et des entreprises.
Chacun doit faire un bout du chemin. Nous devons faire comprendre que tout effort mérite salaire et vice versa aux jeunes comme aux entreprises. Ces dernières d’ailleurs paient bien. 2500 euros nets, c’est énorme. Oui l’industrie paie bien. Mais cela veut dire par exemple dans la maintenance, se déplacer, s’impliquer.
Ce taux d’évaporation devrait aussi faire changer les pratiques des recruteurs. Ils ont gardé les réflexes d’une période sans pénurie de compétences. Ils demandent des années d’expérience et de compétences souvent supérieures à ce qui est strictement nécessaire.
Je peux témoigner que nombre de jeunes n’osent pas postuler. Ils n’osent pas y aller et donc ne candidatent pas. Il faut intégrer que ces jeunes sont souvent déjà dans une image d’eux en « échec »… sinon ils seraient dans les formations générales.
Autre point important rarement mentionné, pour les jeunes le CDI c’est « en prendre pour perpet ». Il leur fait peur, Ce n’est plus le graal qu’on croyait, du moins pour eux. En fait ils ne savent pas ce qu’est un CDI. Par exemple, ils ne savent pas qu’ils peuvent démissionner avec un mois de préavis. Dans ce contexte, les comportements stigmatisés des jeunes qui « se barrent » sans préavis s’expliquent simplement : personne ne leur a expliqué ce qu’il y a dans leur contrat de travail qui fait 20 pages et qu’ils ont signé sans vraiment le lire, trop compliqué. Lire dans le détail un contrat de travail est hyper-angoissant : l’employeur se protège RGPD, télétravail, clause P… Des pages entières remplacent un simple « je te prends comme emboutisseur sur ma chaine de production ». Comprendre le monde du travail suppose d’y être, par des stages, par la vraie vie. Les stages en 3ème ne sont peut-être pas parfaits, mais sont très bien. Ils sont une première clef du monde de travail.
C’est à nous de leur expliquer « qu’il faut bien se comporter » et ne pas s’en aller sans donner de nouvelles… mais cela est peut-être un autre sujet. Aussi certains vont vers des métiers de logisticiens chez Amazon. Leur image est qu’on peut en partir plus facilement. Une continuité peut être mal analysée de l’uberisation du monde du travail. En fait ce qui leur manque c’est une simple connaissance du monde du travail, faire entre deux et six mois de stage, apprendre avec les techniciens non seulement le métier, mais aussi le monde du travail
Maintenant, ceci étant dit, voici quelques recommandations en synthèse.
Il faudrait que nous parvenions à faire parler les centres de formation et les employeurs. Ce n’est pas assez le cas aujourd’hui. Les métiers évoluent très vite à Bac+2. Nous devrions remettre à plat les compétences sur lesquelles les formations sont attendues et les spécialisations qui doivent se faire dans les entreprises, quitte à être ensuite l’objet de VAE.
Je milite pour une notion de « compétences transférables ». En sus d’un travail sur la posture – dire bonjour, être à l’heure, rendre compte, prendre soin de soi des autres et de son matériel – nos formations devraient être focalisées sur les compétences transférables d’une entreprise à l’autre.
Je ne l’ai pas évoquée avant. La mixité des publics et notamment des âges – pas seulement des parcours – est très enrichissante. On parvient à « mélanger » des jeunes de 18 à 30 ans avec des parcours compléments différents. Certains avec un BEPC ou parfois même pas : certains ont « deux ans de jeu vidéo » derrière eux avec d’autres jeunes licenciés d’histoire. autre licence d’histoire.
Avoir des âges différents dans une formation donne des dynamiques particulièrement intéressantes : face à une difficulté, un obstacle, une classe de même âge va avoir un comportement homogène, se bloquer en bloc, être grégaire, se démotiver collectivement. En mélangeant les âges vous avez d’autres dynamiques, certains ont une énergie que d’autres non plus, certains ont un recul que d’autres n’ont pas encore. Cette approche peut aussi se faire sur des projets communs entre des jeunes en formation d’ingénieurs et d’autres en formation de techniciens. De toutes les façons ils devront apprendre à travailler ensemble plus tard, à respecter mutuellement leurs savoir-faire respectifs, ce que les uns savent faire et les autres pas et vice versa. Autant qu’ils l’apprennent au plus vite. Interrogeons-nous sur cette idée de briser le modèle qui veut que nous soyons tous formés avec le même âge : 10 ans tu es CM2, Bac à 17ans ou 18ans si tu as redoublé. Le moins jeune va apprendre du plus jeune et réciproquement.