Louis Gallois était l’invité des Forces Françaises de l’Industrie, ce mardi 7 février, au Rugby Club. Sa prise de parole, limpide, a pointé les combats qu’il nous reste à mener pour réindustrialiser nos territoires.
« Je n’aime pas beaucoup le terme de « relocalisation », a-t-il dit pour lancer son discours, car il donne l’impression qu’on va reconstruire l’industrie qu’on a perdue il y a vingt ans. »
Et ça, l’ancien patron d’Airbus ne le veut pas. Cet homme qui a eu tant de casquettes par le passé (syndicaliste, Ministre, capitaine d’industrie), n’aime pas beaucoup qu’on se laisse aller à la nostalgie.
« Il faut, au contraire inventer une nouvelle industrie. Une industrie qui tienne compte de la nouvelle donne sociale, environnementale et technologique. »
Pour cela, Louis Gallois a lourdement insisté : il nous faudra un nouveau récit. Un récit capable de convaincre les populations et les entreprises que la France et l’industrie ne sont plus fâchées. Nous pensions, aux Forces Françaises de l’Industrie, que c’était déjà fait, mais le grand industriel qu’il est nous a rappelé qu’il restait du travail en la matière. Beaucoup de travail…
Reconquérir les technologies qui nous échappent
« Réveillons-nous ! Les entreprises qui sont parties ne vont pas revenir comme ça, par enchantement, parce que cela fait plaisir aux Français, a-t-il rappelé. Elles ont trouvé des sources de productivité hors de France auxquelles elles ne vont pas renoncer facilement. Pour qu’elles nous rejoignent, il va falloir s’y coller ! »
Ambiance… D’autant que les investissements à consentir et les réformes qu’il appelle de ses vœux n’ont rien de trivial. En réalité, chaque mot de son discours nous faisait comprendre à quel point la réindustrialisation serait une course de fond parsemée de changements culturels non négligeables. À commencer par notre rapport à la technologie.
« La seule façon pour un pays à hauts salaires face à ceux qui travaillent à bas coûts, c’est de mettre de la technologie dans l’industrie. Car le futur de l’industrie sera numérique ! Or, on a l’impression que les industriels ont peur d’aller vers ces technologies. Et quand on voit que la 5G est moins utilisée en France qu’ailleurs, quand j’entends Gilles Babinet me dire qu’on ne se positionne pas assez sur l’intelligence artificielle alors qu’elle va bouleverser les processus industriels, je m’inquiète ! »
Inquiétude bien légitime, car il est, en la matière, bien plus tard qu’on ne le pense : « En réalité, il n’y a plus que deux branches qui maitrisent leur technologie en France : le nucléaire et l’aéronautique. Même l’automobile n’est pas autonome technologiquement car elle ne maîtrise pas encore la production des batteries. Il va donc falloir reconquérir les technologies et que ces technologies pénètrent les industries. »
Les maths au secours de l’industrie
Pour Louis Gallois, cette reconquête technologique ne se fera pas sans un sursaut majeur en matière de recherche. Et, sur ce sujet, autant dire qu’on part de loin.
« Notre budget plafonne à 2,2% du PIB, contre 3,1% pour les Allemands (qui vont passer à 3,5%). Les Américains sont à 3,6% et les Coréens à 4,2%. On est en train de passer en seconde division ! Il faudrait mettre 20 milliards d’€, soit 1 point de PIB de plus par an sur la recherche sinon on ne tiendra pas la cadence. »
Malheureusement, le combat pour la recherche ne se résume pas aux milliards qu’il nous faudrait investir. « Quand on ne fait plus de math, on ne forme plus d’ingénieurs. Et sans ingénieurs, plus de recherche ! La France avait une excellence en la matière qu’elle partageait avec les Russes. Eux ont gardé cela, mais nous non. »
N’imaginez pas un instant que Louis Gallois en avait spécifiquement après les filières de l’enseignement général quand il a dit cela. Car son analyse sur l’évolution de l’enseignement technique était tout aussi sévère.
« Plusieurs centaines de milliers de jeunes sont dans les lycées professionnels parce qu’on leur a dit qu’ils n’étaient pas assez bons pour aller dans l’enseignement général. Ils n’ont pas choisi ces filières, ils les ont subies et se sentent en échec. On leur propose des lycées qui manquent de budget, qui n’ont pas assez de matériel et dont on a raccourci la durée d’un an. Il faut plus de stages, plus d’alternances et des enseignants qui acceptent de revoir et d’adapter leurs méthodes. »
Après de tels mots, il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre que la qualité de la main-d’œuvre française, qui fut longtemps un atout aux yeux des entreprises internationales, était en grand danger.
Tout comme les prix de l’énergie, d’ailleurs.
Il aura fallu une crise majeure pour sortir de vingt ans d’inaction en matière de politique énergétique
« Depuis 20 ans, on a mené une politique énergétique de gribouille ! », a-t-il lâché en guise de punch line.
Hé oui, car : « L’industrie va devenir électrique : c’est-à-dire qu’on passe du charbon au gaz, puis du gaz à l’électricité. Or on a perdu 13 GW d’énergie pilotage qu’on a pensé remplacer par des énergies renouvelables intermittentes. »
« Parce qu’on a confié le sujet de l’énergie au Ministère de l’Environnement au lieu de le laisser avec l’industrie, on s’est mis sur une trajectoire de fermeture de réacteurs nucléaires qui va nous obliger, aujourd’hui, à réenvisager l’ouverture de centrales à gaz. C’est insensé ! »
« On a commis une erreur d’analyse gravissime : on a cru que la baisse prévue de notre consommation énergétique se traduirait par une baisse de notre consommation électrique. C’est tout le contraire qui s’est passé. Car l’électricité remplace progressivement les autres énergies dans le mix énergétique. Si bien qu’on consomme de plus en plus d’électricité. Et ça n’est pas fini car elle représente 25% du mix énergétique en France aujourd’hui, alors qu’elle va en représenter 55% en 2050. On va donc devoir doubler la production d’électricité. Or, d’ici 2035, il n’y aura aucune nouvelle capacité de production d’électricité pilotable qui ouvrira en France en dehors de Flamanville. »
La conséquence de cela est une explosion des prix d’une énergie qu’on aurait pu éviter. Pour Louis Gallois, ce contexte menace « de faucher le frémissement industriel français de ces trois dernières années. » Ajoutez à cela la candeur de l’Europe qu’il dénonce face aux aides publiques massives distribuées par les Américains à leurs industries, et vous avez de quoi lancer une nouvelle vague de délocalisation.
Et c’est après avoir douché nos derniers soupçons d’optimisme que notre invité nous a livré quelques raisons d’espérer. Il était temps.
Un état stratège qui donne de la visibilité aux entreprises
À l’entendre, c’est l’absence d’une planification efficace conjuguée aux errements politiciens de nos gouvernants qui ont provoqué cette situation.
Au lieu de voir l’État et le Parlement se perdre en conjectures sur des sujets aussi polémiques qu’accessoires, Louis Gallois aurait aimé les voir s’impliquer sur des sujets qui vont structurer notre avenir.
« Les entreprises ont besoin de visibilité pour investir. C’est pour cela que l’État doit planifier son effort et le rendre lisible par les agents économiques. C’est le rôle des lois de programmation, en matière de recherche, de formation, d’énergie… le tout rassemblé dans un plan qui doit être construit, débattu et piloté au plus haut niveau. C’est-à-dire par un commissariat au plan présidé par le Président de la République lui-même et dont le contenu aurait été débattu au parlement. »
Ceux d’entre nous qui s’inquiétaient alors de voir resurgir le dirigisme d’après-guerre furent immédiatement rassurés : « Il n’est pas question de planifier l’action des grands groupes comme dans les années 50, mais il est important que les entreprises comprennent où va l’État. »
Nous voilà d’accord.
Il nous manque un nouveau récit sur l’industrie
Vint alors le moment d’évoquer l’acceptation de l’industrie par nos compatriotes. Nous avions été nombreux, lors des échanges qui précédaient son discours, à mettre en valeur les initiatives de valorisation des métiers de productions portées par les Forces Françaises de l’Industrie en la matière et à témoigner d’un enthousiasme grandissant auprès de nos interlocuteurs dans les médias, l’éducation nationale, les collectivités locales…
L’ancien patron de la SNCF nous avait d’ailleurs félicités pour cela. Mais il nous montra en quelques exemples le chemin qu’il restait à parcourir pour gagner la bataille de l’opinion.
« Vous vous souvenez de la société Bridor, en Bretagne ? Elle voulait créer une usine en France, investir 250 millions d’€ et créer 500 emplois. Des associations écologistes ont bloqué le dossier. Si bien que l’usine est partie s’installer en Espagne. L’emprunte CO2 sera la même, l’artificialisation des sols également, mais les emplois ne seront pas en France, ni les rentrées fiscales pour financer notre modèle social. »
« L’industrie ne pourra pas revenir si les gens pensent qu’elle est un problème »
« Il faut montrer qu’elle est, au contraire, en mesure de trouver des solutions à tous nos défis. Et c’est aux forces vives de l’entreprise, à vous les patrons et les patronnes de PME, de le prouver à l’opinion. C’est à vous d’incarner une nouvelle vision de la production. Les gens comme moi, les patrons de grands groupes, ne sont pas légitimes pour cela, car nous ne sommes pas aimés par la population. »
C’est sur cette exhortation, suivie par une ode à nos régions et à leur potentiel de rebond que Monsieur Louis Gallois, natif de Montauban (il a tenu à nous le rappeler), a terminé son intervention.
« Je constate que ce qui marche, c’est souvent ce qui part des territoires. Surtout quand il y a un dynamisme des acteurs locaux. C’est ça qui fait la différence. L’entente de certains élus locaux avec des entrepreneurs peut faire la différence. Des PME qui se prennent en main sur un territoire, c’est la solution. L’État est là pour assurer les infrastructures, mais le reste, c’est aux gens du coin de le faire. »
Après ses mots, un fort sentiment de fierté régnait dans l’assemblée. Louis Gallois venait de nous confier la responsabilité d’imaginer et de porter un récit dont il venait de nous dicter les premiers chapitres. C’était maintenant à nous de jouer.