Aujourd’hui, pour la première fois de ma vie, j’ai lu un article dans un journal belge. L’Echo.be interviewait Pierre Régibeau. Et je n’ai pas aimé. Non, pardon, je ne vous dis pas tout. Il m’est arrivé, les jours précédant une élection française, de lire les sondages que les journaux francophones étrangers publiaient en ligne, alors que les titres français n’en avaient pas le droit.
Souvenez-vous.
Cette situation cocasse (ridicule, en fait) a duré des années sans qu’on lève cette absurde interdiction qui pénalisait nos journaux face à leurs concurrents internationaux. Nos gouvernants préférant alors tenir leur posture morale (il ne fallait pas influencer le bas peuple avant l’élection) plutôt que de reconnaître qu’elle n’avait aucun sens et que nombre de nos concurrents se moquaient ouvertement de nous.
Que voulez-vous… La France a parfois cette capacité d’imaginer qu’elle est seule au monde, et qu’elle peut légiférer pour se donner de grands airs sans se soucier du reste du monde et de ses réactions forcément méprisables.
Est-ce un héritage de 1000 ans de domination aristocratique ? Nous aimons nous doter d’élites politiques plus soucieuses du qu’en dira-t-on à la Cour (et au bistrot) que de l’avis de ceux qui sont au contact des conséquences cruelles de leurs décisions dogmatiques.
« Que les marchands se plaignent, ils le font toujours. »
« Prenons des décisions justes et morales. L’intendance suivra ».
Et c’est ainsi qu’on a pu enchaîner les déclarations démagogiques du « gars qui s’en fout parce qu’il est au-dessus de ça » à longueur de meetings politiques, de conférences internationales et ce pendant des années. Bon, cela nous a coûté notre industrie et notre prospérité, certes. Mais au moins, c’est nous qui faisions le buzz.
Le problème c’est que depuis Emmanuel Macron et ses gouvernements de ministres pro-business, on a un peu baissé la garde. (salutation, au passage, à notre Ministre préféré Roland Lescure qui interviendra lors de la soirée FFI du 5 septembre prochain). En réalité, en matière de grandes phrases complètement stupides sur le plan économique (nous sommes restés compétitifs dans quelques autres domaines), je ne vois rien de majeur depuis « Mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance. » Ne cherchez pas, le type qui a prononcé cette phrase a sombré dans l’oubli.
Je parle ici de déclarations prononcées par un politique aux affaires et exerçant des responsabilités. Alors, n’allez pas chercher de déclarations issues de la #NUPES. Ils sont hors concours.
Et que se passe-t-il quand une nation championne du monde se relâche ? Qu’elle ne s’entraîne plus aussi fort pour garder son titre ? Une autre la déloge, au moment où elle s’y attend le moins ! La nature a horreur du vide #touçatouça.
Eh bien Mesdames et Messieurs, mes chères compatriotes, j’ai la grande tristesse de vous annoncer que, ça y est, nous avons officiellement perdu notre titre de peuple à la phrase la plus outrancière en matière économique. C’est arrivé hier, un 4 août, et c’est un Belge, Pierre Régibeau, qui détrône tous nos champions. Un cousin francophone, en plus… Désespoir…
Bon, par contre, sa performance oratoire est incontestablement hors du commun. Il a quand même réussi à sortir sans aucun état d’âme : « Si l’industrie lourde européenne disparaît, qu’il en soit ainsi ».
Enorme, n’est-ce pas ?
Personne n’a vu le coup venir. Essentiellement parce que le mec est un semi-inconnu. C’est-à-dire que le grand public ne connaissait son nom jusqu’ici, mais que tout le monde savait qu’il existait. Par son poste à hautes responsabilités à la Commission Européenne, notamment.
Car ce grand penseur était jusqu’il y a peu, l’économiste en chef de la direction générale de la concurrence. En gros, c’était lui qui influençait toutes les politiques européennes en matière de protection de nos frontières économiques.
Et franchement, à le lire, on comprend pourquoi notre industrie a tant de mal à se faire respecter par les prédateurs économiques venus de Chine ou d’ailleurs.
Voici quelques-unes de ses citations les plus distinguées. Attention, c’est du niveau Champions League.
« À quoi bon produire de l’acier de base ici si nous pouvons l’acheter trois fois moins cher en Indonésie ? »
« Mais le protectionnisme n’est pas la solution. (…) Ce serait jeter l’argent par les fenêtres. Sauf pour des raisons de sécurité, pourquoi fabriquer des éoliennes en Europe alors qu’on peut les acheter deux fois moins cher ailleurs ? L’Europe devrait remercier ces pays pour ce cadeau. »
Et quand le journaliste lui demande ce qu’il faut faire face aux États-Unis qui subventionnent massivement l’ouverture d’usines sur leur territoire, démarchant directement les industriels présents en Europe pour qu’ils s’installent chez eux, il balaye cela d’un revers de la main.
« En tant que politique économique, (l’IRA) est pitoyable, elle semble avoir été rédigée sur un sous-bock pendant une soirée bien arrosée. L’argent est dépensé de manière incroyablement inefficace. »
Alors, je le confesse, moi aussi je suis libérale. Moi aussi je pense que le libre-échange est préférable à son contraire. Mais quand on voit que les USA, la Chine et bien d’autres ne jouent pas le jeu, que la concurrence est délibérément faussée pour nous nuire… on s’adapte ! Quel est le sens de cette posture de fidélité à une vertu que tout le monde viole éhontément ?
La dernière fois que j’ai lu la presse Belge c’était parce que l’État dont je dépendais restait dans un dogme qui pénalisait les acteurs économiques présents sur son sol alors que tous les autres la contournaient en riant.
Décidément, on ne change pas une équipe qui perd.