La « Stratégie pour accélérer la réindustrialisation de la France » présentée par Emmanuel Macron en mai 2023 s’inscrit dans la lignée volontariste des politiques industrielles mises en place depuis plus d’une dizaine d’années. Présentée comme la « mère des batailles », la réindustrialisation y est décrite en des termes mélioratifs, condition sine qua non du maintien de notre modèle social créant par la même occasion de « bons emplois » et structurant le territoire.
La perception de l’industrie par nos concitoyens est alignée avec la parole politique sur les causes et les conséquences de la désindustrialisation. Cependant, il existe des divergences notables entre ces deux expressions en ce qui concerne les modalités et les fondements de notre réindustrialisation, notamment sur l’impact environnemental, les conditions de travail ou bien la capacité d’innovation de la France.
Cette note explore ces points de convergence et de divergence concernant l’industrie, entre parole politique et perception des Français.
Un alignement sur les causes et les conséquences de notre désindustrialisation
Un premier point de consensus concerne le déclin de l’industrie française, dont la part dans le PIB national a perdu 12 points depuis 40 ans. Ce constat factuel est corroboré par un sondage d’IFOP pour l’UIMM mettant en évidence que 83% de nos concitoyens jugent notre industrie « en déclin depuis plusieurs années ».
Les conséquences de la désindustrialisation sur l’emploi et les territoires ne souffrent non plus d’aucun débat dans la mesure où 71% des Français attribuent le déclin des territoires à la fermeture des usines et aux délocalisations. Ils confortent ainsi le discours présidentiel qui fait de l’industrie le socle de la cohésion territoriale et sociale, notamment par les emplois créés et sa contribution au développement local.
Les causes du déclin de l’industrie française font également l’objet d’un accord entre la parole politique et la perception collective, à savoir un coût du travail historiquement plus élevé que nos voisins européens ainsi qu’un déficit d’attractivité fiscale et des lourdeurs administratives grevant la compétitivité des industriels existants et nuisant à l’attractivité auprès d’investisseurs étrangers. Toutefois, ce constat partagé est en train d’évoluer rapidement dans le discours politique qui met en avant un effet de rattrapage significatif de la France sur les différents leviers de compétitivité (salaires, coûts de l’énergie, modernisation de l’outil productif).
De profondes divergences sur les leviers et les conditions d’acceptabilité d’une réindustrialisation
Le premier point d’achoppement concerne le lien entre industrie et environnement. Condition nécessaire d’une transition environnementale réussie pour la classe politique, l’image de l’industrie porte encore les stigmates des nombreux scandales qui ont émaillé les dernières décennies auprès des Français. AZF, Lubrizol, nombreux sont les accidents industriels quand on ne parle pas d’achat de « droits à polluer »… L’imaginaire industriel souffre donc d’un lourd héritage, même si une évolution est en cours, actée par le consensus trans-partisan et pro-industrie constaté lors de la campagne présidentielle 2022 et concrétisé plus tard par le vote d’une loi « industrie verte ».
La capacité d’innovation actuelle de notre industrie est aussi un point de divergence majeur entre les Français et les politiques, qui ont consenti à d’importants investissements industriels via les Programmes d’investissements d’avenir (PIA) puis France 2030. Les Français gardent eux plutôt en souvenir le relatif retrait des acteurs français sur la production de vaccins lors de la crise de la Covid ou bien encore le manque de fleurons nationaux dans le secteur du numérique. Une récente étude de La Fabrique de l’industrie semble leur donner raison : notre pays y est présent comme déclassé en matière d’innovation de rupture.
Or justement, les discours politiques et populaires sont conjointement orientés sur des filières d’avenir, « high tech » et fondées sur l’innovation de rupture. Toutefois, ces dernières ne suffiront pas à garantir notre renaissance industrielle. Densifier le tissu industriel classique (PMI, ETI) nourri d’innovations incrémentales plus que de rupture nous semble un prérequis, qui ne trouve pas encore suffisamment son écho ni dans le discours politique, ni dans l’image de notre réindustrialisation.
Ensuite, selon l’âge, on note une perception divergente de la précarité et de la stabilité des emplois industriels. L’image des « bons » emplois industriels mise en avant par le Président de la République est battue en brèche dans l’imaginaire collectif par la souvenance des vagues successives de délocalisations et de licenciements massifs. Cependant, les attentes vis-à-vis des emplois industriels sont en train de changer. Les jeunes générations n’attendent plus de « faire carrière » dans l’industrie, aussi cette image de « précarité » est occultée par une attente de « sens » dans l’emploi, attente à laquelle l’industrie peut répondre.
Plus structurellement, il existe un décalage sur la perception des conditions de travail et leur évolution. Un sondage réalisé à l’échelle d’une agglomération du nord de la France met en évidence l’héritage du « Fordisme » dont souffre aujourd’hui encore l’image de l’industrie en France.
Les mots de « travail à la chaine » et de « tâches répétitives » reviennent fréquemment dans le sondage réalisé, de même que la persistance d’une barrière de classe qui subsisterait entre ces emplois ouvriers pénibles et les « bons emplois », mis en avant par les politiques mais qui profiteraient aux cadres. Ainsi, il apparait nécessaire de faire coller l’image de l’industrie à sa réalité, par exemple par le biais de témoignages d’acteurs industriels de tous niveaux hiérarchiques, en sus de la promotion d’une industrie moderne et 4.0.
Enfin, un dernier clivage est celui du modèle d’organisation des entreprises industrielles qui souffre d’un déficit d’attractivité aux yeux des employé-es. L’organisation verticale et l’image d’un monde masculin, qui a longtemps prévalu dans le milieu industriel, imprègne aujourd’hui encore la perception collective. Or, les employés aspirent à des méthodes de management horizontales, plus flexibles et collaboratives. Le renforcement des compétences managériales de l’encadrement intermédiaire pourrait être un levier actionnable et plus immédiat pour réconcilier l’organisation industrielle avec les attentes des employés.
Afin de re-synchroniser l’image de l’industrie portée par les politiques et la perception des Français, un certain nombre d’éléments sont à considérer :
- L’industrie a longtemps été considérée comme l’ennemi de l’environnement, ce n’est plus le cas et pourtant cette réconciliation demandera encore du temps et de la conviction. La dynamique est néanmoins engagée.
- Le chantier des conditions de travail est un angle mort du discours politique. Cet enjeu est distinctif en ce qu’il est moins lié à la parole politique qu’à celle de la communauté industrielle : apprentis, ouvriers, contremaîtres, syndicalistes, cadres et dirigeants d’entreprise. Eux seuls sont en mesure d’en changer la réalité et la perception.
- L’industrie ne doit pas être réduite à la sphère des « hautes technologies », qui n’ont par ailleurs pas produit de leaders récents et dont l’effet d’entrainement sur le reste du tissu économique et territorial fait toujours l’objet de débats. Le développement d’un tissu industriel diversifié est l’une des clés de la revalorisation de son image.
- Enfin, cet effort de re-synchronisation ne doit pas être réduit à un exercice de communication. Il s’agit plutôt d’actionner des leviers de transformation permettant de modifier la «réalité industrielle» telle qu’elle est vécue et perçue par les Français. Il en va de notre souveraineté industrielle et de la redynamisation des emplois sur l’ensemble des territoires.