« Les startups industrielles ont besoin des expertises des PME industrielles ! »
Eléonore Blondeau est la jeune et dynamique Co-fondatrice & Présidente du Collectif Startups industrielles France qu’elle dirige bénévolement depuis 2021. Salariée à temps partiel au sein d’une ETI industrielle de 1 200 personnes basée dans le Sud de la France et présente dans de nombreux pays à l’étranger, Eléonore Blondeau a lancé ce Collectif pour accompagner et défendre les entrepreneurs de Startups industrielles françaises. « Quand j’ai dû céder la société que j’avais lancée, il n’y avait pas ce type de structure pour m’accompagner ». Interview.
« J’ai vécu tous les freins que porte le plaidoyer »
– Les F.F.I : Eléonore, pourquoi avoir lancé ce collectif ?
– Eléonore Blondeau : « J’ai créé ce Collectif car j’ai vécu tous les freins que porte le plaidoyer. J’ai échangé avec d’autres entrepreneurs industriels qui étaient dans la même situation que moi et nous nous sommes rendus compte que peu importait la taille du produit ou la filière, on rencontrait les mêmes étapes de développement et les mêmes difficultés, sans avoir les soutiens nécessaires. Nous avons eu envie de passer à l’action.
« J’ai monté une première start-up, CleanCup »
– Les F.F.I : quel est votre parcours ? Quelle entreprise industrielle aviez vous lancée ?
– E.B : Je suis diplômée d’une école de commerce, – l’EM Lyon Business School-. Je ne suis pas issue d’un milieu propice aux grandes écoles. Je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire, je ne cherchais pas à devenir chef d’entreprise. Pendant mes études, j’ai découvert l’entrepreneuriat, l’innovation et le développement durable. Et en août 2015, j’ai lancé la société CleanCup. Une solution pour supprimer l’usage des gobelets jetables et améliorer l’expérience de boire dans les campus, entreprises et collectivités. Je proposais une machine qui distribuait, collectait et lavait automatiquement sur place des verres réemployables. J’ai dirigé et développé cette société pendant 5 ans. J’ai cédé l’activité alors qu’elle était en redressement judiciaire. Nous devions poursuivre avec le repreneur mais cela ne s’est pas passé comme prévu. Au bout de trois mois, nous nous sommes séparés. L’activité a été suspendue alors qu’il y avait des clients, un partenaire industriel, et un marché énorme.
– Les F.F.I : quelles sont les leçons que vous en avez tirées ?
– E.D : J’ai réalisé que l’écosystème startups avait été développé par/et pour le monde numérique et les services. Il était possible de lever des millions en claquant des doigts en maîtrisant le digital avec des projets qui ne faisaient pas forcément sens, à mon avis. Nous, en tant qu’entrepreneurs industriels avions des difficultés pour trouver des locaux adaptés pour héberger notre activité, des financements en fonds propres, trouver des interlocuteurs qui comprennent le vocabulaire et les besoins de l’amorçage industriel… Quand j’ai cédé mon activité, je me suis dit : plutôt que de me battre contre mon repreneur qui ne respectait pas ses engagements pris devant le tribunal de commerce, je vais mettre mon énergie à développer l’écosystème qui fera que plus personne ne vivra ce que j’ai vécu. Cette aventure est partie de mon histoire personnelle, mais je n’étais pas la seule à être dans ce cas.
« Si on veut faire quelque chose, c’est maintenant »
– Les F.F.I : comment s’est développé ce Collectif ?
– E.B : J’avais cédé mon activité et avais donc du temps. Avec la crise sanitaire, il y a eu, au même moment, un regain d’intérêt pour l’industrie. Je me suis dit : « si on veut faire quelque chose, c’est maintenant ». J’ai été auditée par la Direction des Finances, dans le cadre de leur rapport fin 2020-2021 sur les freins que peuvent rencontrer les startups industrielles. Ce rapport devait sortir en mars 2021. J’avais déjà identifié des solutions et des idées à développer dans des territoires. Lors de l’audition, j’ai tenté un coup de bluff. J’ai été entendue un vendredi, et je leur ai indiqué que je sortais une tribune à ce sujet le mardi suivant. Ils ont voulu la voir. Je n’avais pas écrit la moindre ligne ! Je l’ai rédigée pendant la nuit, puis je l’ai partagée pendant le week-end à des copains entrepreneurs industriels. Nous l’avons retravaillée, fait des allers retours. Le mardi, comme je l’avais annoncé, de manière un peu présomptueuse, je l’ai publiée sur Linkedin. Et là, j’ai reçu des centaines de messages de gens qui se reconnaissaient totalement dans les idées qui étaient développées dans le texte ! On ne pouvait pas juste tirer la sonnette d’alarme, nous devions passer à l’action ! On a commencé avec des réunions informelles en visio, désorganisées. Y participaient des co-signataires de la tribune, des entrepreneurs industriels, des sous-traitants, des citoyens. Lors de ces échanges, on s’est rapidement rendu compte qu’il existait des structures qui portaient la voix des PME, des ETI et des grands groupes en transformation, notamment soutenus par La French Fab, le METI, France Industrie. Mais que personne n’était là pour porter la voix des startups industrielles françaises. Défendre et accompagner celles et ceux qui partent d’une feuille blanche et qui ont un projet industriel. Nous avons donc créé l’’association « Collectif Startups Industrielles France » en juin 2021. Elle a pour mission de faire connaître l’existence des startups industrielles françaises, de faire connaître leurs besoins et d’accompagner l’écosystème national et local à développer les outils adaptés pour accompagner l’amorçage industriel, dans une démarche d’économie circulaire.
« Une vingtaine de membres nous rejoignent chaque mois »
– Les F.F.I : quelle est l’importance de ce Collectif aujourd’hui ?
– E.B : Le Collectif est national. Nous avons plus de 140 adhérents, entre 10 et 20 nouveaux membres nous rejoignent par mois. 3 000 personnes dans la communauté du Collectif nous soutiennent et nous relaient régulièrement. Nos membres sont des porteurs de projets industriels, des sous-traitants, des accompagnants ou des citoyens professionnels. L’idée n’est pas d’industrialiser pour industrialiser, mais d’expliquer qu’il peut y avoir une cohérence à réconcilier l’industrie, le numérique et la finance au service de la transition écologique et sociale. Cette dernière ne pourra pas se faire sans engager tous les industriels, des startups aux grands groupes !
« Nous avons obtenu de beaux résultats, plus vite que prévus… »
– Les F.F.I. : quel bilan en tirez-vous ?
– E.B : nous avons déjà obtenu de beaux résultats. Ils sont arrivés plus vite que ce que l’on avait imaginés. Et on ne risque pas de s’ennuyer pour les 12 prochains mois ! La crise énergétique et les approvisionnements ne facilitent pas, pourtant, franchement notre tâche, mais nous sommes tous logés à la même enseigne. Sur nos grandes thématiques, le financement en fonds propres, l’hébergement, l’acculturation de l’écosystème en amorçage et sur tous les aspects réglementaires, il y a déjà eu soit des réalisations soit des annonces.
– Les F.F.I : vous intervenez auprès de tous les secteurs ?
– E.B : Oui, ils sont tous concernés. Une start-up industrielle, c’est un projet innovant à forte croissance dont l’innovation repose sur un produit matériel ou un procédé industriel. L’industrie, le numérique et l’environnement sont très liés et transversales
– Les F.F.I : est-il possible de chiffrer le nombre de ces startups industrielles françaises concernées et impliquées ?
– E. B : Elles sont au nombre de 1 600, selon le ministère de l’économie. Nous sommes convaincus, pour notre part, que le nombre est largement supérieur. Nous lançons un observatoire plus détaillé pour pouvoir le justifier et suivre statistiquement l’évolution des startups industrielles françaises. Elle représente 143 sites existants avec un potentiel d’une centaine de nouveaux sites annoncés d’ici 2025.
« Je suis salariée trois jours par semaine, dans une ETI, Eternity Systems »
– Les F.F.I : s’agit-il d’un job à temps complet pour vous ?
E.B. : « C’est une activité bénévole pour moi comme pour la totalité de l’équipe. Nous avons beau travailler et nous impliquer pour les plans de Relance et France 2030, nous venons à peine d’obtenir notre première subvention (dans le cadre du Community Funds de La FrenchTech) ! Nous finançons le Collectif uniquement avec des adhésions, du sponsoring et des prestations de service. Nous espérons mettre en place une équipe salariée l’an prochain. Pour ma part, je suis salariée trois jours par semaine en tant que New Projects Manager dans une ETI, Eternity Systems, qui existe depuis 25 ans, dont le siège est à Perpignan, et qui fait 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. Nous sommes 1 200 collaborateurs répartis dans six pays en Europe et en Amérique du Nord avec plus de 16 sites industriels. Le groupe est un des leaders dans le domaine du nettoyage industriel de contenants et emballages réemployables. Nous travaillons aussi bien pour l’industrie agroalimentaire, que l’automobile ou encore le e-commerce.
« La réindustrialisation revient à la mode. Faisons en sorte d’être tous ensemble complémentaires »
– Les F.F.I : comment s’est opéré le lien entre vous et notre mouvement ?
– E.B : J‘ai découvert Les F.F.I via Linkedin. J’ai vite remarqué leur engagement pour les PME que je trouve important. Nous avons des synergies à développer. Il y a un vrai lien entre PME et startups industrielles à tisser pour aider celles qui ont fait, notamment leurs preuves, dans leurs projets de transformation en PME. Les PME industrielles peuvent aider à l’industrialisation des startups de nombreuses manières : par l’apport de fonciers, de ressources humaines, de techniques. Voire en matière de financement, également. Le Collectif organise des rencontres sur tout le territoire. Elles visent à mettre en relation des acteurs de l’industrie traditionnelle avec l’écosystème startups. Nous pouvons proposer aux F.FI de s’associer à certains de ces événements. Je suis convaincue qu’il ne faut pas créer de nouveaux sites industriels mais optimiser ceux existants. A l’inverse, quand les FFI font des sujets spécifiques sur l’industrie, notre Collectif peut les relayer auprès de notre communauté. La réindustrialisation devient à la mode. Il commence à y avoir pas mal de collectifs et si on se spécialise tous autour de l’industrie, « ça ne va pas le faire ». Faisons en sorte d’être tous complémentaires et d’éviter les doublons.
– Les F.F.I : avez-vous envie de rejoindre notre club ?
– E.B : J’ai pris un café avec Laurent Moisson. Je n’ai pas été sollicitée pour prendre officiellement mon adhésion, mais avec plaisir pour en discuter !
« Créer un accélérateur qui aurait davantage vocation à transformer des startups industrielles linéaires classiques en projets circulaires. »
– Les F.F.I. : votre collectif cherche-t-il à créer un accélérateur ?
– E.B : nous y réfléchissons. Il ne s’agirait pas d’un accélérateur industriel mais d’un accélérateur à la circularité industrielle. Il aurait davantage vocation à transformer des startups industrielles linéaires classiques en projets circulaires.
– Les F.F.I : et vous, à titre personnel, après votre première expérience, avez-vous envie de relancer une startup industrielle ?
– E.B : Non, ou pas à ce jour ! – NDLR : Cri du coeur… – Pour moi il n’y a rien de pire que d’être chef d’entreprise qui est esclave du monde entier. Mon statut de salariée à temps partiel me convient parfaitement. Je n’assure plus les responsabilités financières et juridiques d’une société. D’ici douze mois, une équipe opérationnelle va se mettre en place au sein du Collectif, ce qui me permettra, peut-être, de m’impliquer différemment ou de me retirer complètement de l’opérationnel pour me consacrer à d’autres projets personnels que j’avais initialement prévus de lancer du fait d’avoir 4 jours par semaine à moi. Je me suis fait prendre dans la roue du Collectif et j’en suis ravie mais ça n’est pas reposant tous les jours !… »